La percée de la microfinance en Afrique dans un contexte d’inflation
L’inflation généralisée et les taux d’intérêt croissants des banques centrales continuent de peser sur les nations africaines, en lutte pour sortir de la crise économique liée au COVID-19. Pourtant, les institutions de microfinance et les fintechs continuent à voir des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) à la recherche de financements, avec une faible augmentation des prêts non performants.
Par Shane Starling
Les acteurs du secteur constatent que l’augmentation des coûts d’emprunt, l’accès réduit au crédit et la diminution des bénéfices frappent davantage les grandes entreprises que les MPME, un segment souvent financé en dehors des banques traditionnelles.
Ces MPME, qui représentent plus de 60 % du PIB africain, sont souvent accompagnées par des fintechs au succès croissant, dont l’agilité permet d’offrir des services de microfinance aux nombreux entrepreneurs sous-bancarisés du continent.
Une demande inélastique
Selon Omondi Ochieng, Directeur de la finance d’entreprise chez TeamApt, spécialiste de la finance numérique au Nigeria, l’inflation augmente la demande de microcrédit. Le phénomène s’observe notamment chez les MPME des secteurs essentiels comme l’alimentation, l’agriculture, les services publics et les soins de santé.
Omondi Ochieng prend l’exemple des entreprises de l’agriculture et de l’alimentation, qui peuvent répercuter la hausse des coûts des intrants sur le consommateur. Le caractère essentiel des denrées alimentaires pour les ménages résulte en une demande inélastique : « Pour les MPME des secteurs dits défensifs, l’impact de l’inflation et des taux d’intérêt sur la performance des prêts est faible, voire nul, car elles peuvent répercuter la hausse des coûts sur leurs propres prix. »
Le faible impact de l’inflation dans la microfinance des MPME
Guillaume Lesay, Directeur des risques chez le spécialiste du microfinancement Baobab Group, observe que les nombreuses MPME dans sa clientèle résistent bien aux chocs économiques des deux dernières années : « Peu de clients ont revu leurs objectifs de développement à la baisse. Il y a eu quelques défaillances de prêts dues au COVID, mais pas vraiment à l’inflation. Elle a peu d’impact dans la microfinance, et à ce niveau, les entreprises finissent toujours par trouver des solutions. »
Alors que les banques centrales multiplient les hausses de taux pour juguler l’inflation (le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte, les trois plus grandes économies du continent, ont augmenté leurs taux de base de près de 5 % en 2022), les offres financières de Baobab ont été largement épargnées. « Il n’y a pas eu d’augmentation des taux d’intérêt », indique Guillaume Lesay. « Dans de nombreux cas, nos taux sont plafonnés et nos marges suffisantes pour nous éviter la pression d’augmenter les taux. » En Afrique de l’Ouest, Baobab a plafonné les intérêts de ses microcrédits à 24 % par an.
Des fintechs agiles et plus ouvertes au risque que les grandes banques
Guillaume Lesay attribue le succès de Baobab à la faible activité des grandes banques dans les prêts aux PME. Mia Pieterse, Spécialiste des services financiers chez Mazars en Afrique du Sud, partage ce constat : « Les fintechs ont plus d’appétit pour le risque, ce qui va de pair avec la créativité et l’innovation dont elles font preuve sur le marché. » Elle rappelle que le Nigeria et le Kenya sont devenus des leaders de la microfinance notamment grâce à la déréglementation du secteur financier.
Selon Omondi Ochieng de TeamApt, cette réticence des banques traditionnelles a ouvert la voie aux fintechs, qui ont alors facilité l’accès au crédit des particuliers et des MPME : « Les fintechs peuvent prendre des décisions rapides et offrir des conditions de remboursement plus souples, généralement basées sur le cycle de trésorerie ».
Contrairement aux banques commerciales, Baobab démarche activement ses clients en activant le réseau des familles, des fournisseurs et des entreprises : « Nous avons choisi de faire le premier pas vers le client, et c’est la clé de notre succès. Nous ne nous limitons pas aux outils traditionnels de mesure du crédit, ce qui explique notre taux très faible de défaillance de prêts. »
Un travail sur le terrain en renfort du Machine Learning
De nombreuses fintechs enrichissent les mesures de credit scoring classiques avec des outils alternatifs, comme l’analyse des données collectées sur les smartphones des clients ou sur les sites web des entreprises. Omondi Ochieng remarque toutefois que certains modèles 100 % numériques, basés sur des algorithmes de Machine Learning, peuvent augmenter le nombre de prêts non performants.
Une approche plus efficace est celle des modèles hybrides, qui synthétisent les données en ligne et hors ligne pour éclairer les décisions de prêt. Selon Omondi Ochieng, « les fintechs qui suivent cette approche utilisent l’historique de crédit du client, les relevés bancaires et les données transactionnelles internes, mais développent aussi un réseau d’agents de crédit sur le terrain qui viennent à la rencontre des demandeurs. »
Les données qu’ils collectent hors ligne viennent alimenter un moteur d’aide à la décision. Le prêt est accordé ou non sur la base des recommandations du moteur et de l’appréciation des agents, qui ont une connaissance approfondie des entreprises sur le terrain. « Ils sont pour la plupart d’anciens spécialistes du crédit bancaire avec une excellente compréhension du processus et du paysage du crédit », souligne Omondi Ochieng.
Reconstruire, comme après la guerre
Mais certaines banques commerciales ne se contentent pas de suivre les hausses de taux d’intérêt des banques de réserve. L’année dernière, la banque kenyane Equity Bank a dévoilé son plan de relance et de résilience pour l’Afrique, qui prévoit un fonds initial de 7 milliards de dollars destiné à créer des opportunités pour les MPME. Lors du lancement de l’initiative en juin dernier, son PDG James Mwangi a comparé les efforts à fournir à ceux déployés pour reconstruire le monde après 1945. D’ici fin 2025, Equity Bank prévoit d’accompagner cinq millions d’entreprises et 25 millions de particuliers, en mettant l’accent sur la création de « chaînes de valeur nationales » via les MPME.
Plusieurs actions gouvernementales
En réponse à l’inflation, certains gouvernements ont adopté des mesures pour aider les entreprises, y compris les MPME. Le gouvernement nigérian a soutenu l’ensemble des entreprises grâce à des subventions pour le pétrole, les carburants et l’énergie. Selon Guillaume Lesay, leur principale motivation est d’éviter les troubles sociaux. En novembre 2022, le gouvernement kenyan a lancé une campagne visant à accorder environ 400 millions de dollars de prêts aux revenus les plus faibles du Kenya et aux MPME.
Le Nigeria et le Kenya ont aussi renforcé les dispositions d’octroi de licences aux fintechs et revu leurs exigences à la hausse pour la déclaration des transactions. Leur objectif est de mieux contrôler un secteur touché par des acteurs peu scrupuleux à la recherche de profits rapides. « Ces mesures ont freiné la montée des prêts prédateurs, mais des efforts restent à faire pour protéger les données des consommateurs et lutter contre les pratiques de recouvrement malhonnêtes », souligne Omondi Ochieng. L’enjeu est de taille : si elle parvient à un développement éthique, la microfinance pourrait créer le « cercle vertueux de croissance nécessaire au développement de toute économie ».