Les fonds de pension africains, nouveau moteur de financement des infrastructures ?
Par Kingsley Kobo
Les participants au quatrième webinar de l’AFIS (AFRICA FINANCIAL INDUSTRY SUMMIT) ont identifié plusieurs leviers d’action pour augmenter la contribution des fonds de pension aux projets d’infrastructure du continent et compenser la baisse des capitaux étrangers.
La Société financière internationale (IFC) a indiqué que les fonds de pension africains sont en forte croissance depuis quinze ans, sous l’effet de la hausse de la population, de la montée de la classe moyenne et des réformes du marché. Les actifs sous gestion représentent 33 milliards de dollars au Nigeria, 12,8 milliards de dollars au Kenya, 12,1 milliards de dollars en Namibie, 9,7 milliards de dollars au Botswana, et une somme record de 500 milliards de dollars en Afrique du Sud.
Pour les participants au webinar, plusieurs mesures sont toutefois nécessaires pour voir les fonds de retraite atteindre leur plein potentiel d’investissement :
- Combler leur manque d’expertise en matière d’investissements en infrastructures
- Élargir leur couverture au secteur informel en misant sur le numérique
- Renforcer la mutualisation de leurs capitaux
Un vrai besoin d’expertise
La Banque africaine de développement estime qu’il faudrait chaque année à l’Afrique entre 130 et 170 milliards de dollars de dépenses d’infrastructure pour fournir de meilleures routes, de l’eau potable, un réseau électrique fiable et des services d’accès à internet de qualité.
Cela représente un énorme potentiel d’investissement dans des projets de développement à long terme, à l’heure où les entrées de capitaux étrangers se raréfient. Mais les dirigeants des fonds de pension hésitent à allouer des capitaux à ces actifs alternatifs, leur préférant les obligations d’État et d’entreprise.
Pour Ngatia Kirungie, Secrétaire général du Kenya Pension Funds Investment Consortium (KEPFIC), ce désamour s’explique par un manque de connaissances : « Les fonds de retraite manquent d’expertise en matière d’investissement. Les régulateurs doivent les autoriser à engager différents gestionnaires en fonction des catégories d’actifs, pour garantir une plus grande spécialisation et de meilleures opportunités d’investissement, avec des risques plus faibles et davantage de rendements. »
Développer la couverture du secteur informel
Jacqueline Irving, Économiste principale de l’IFC, juge nécessaire d’accélérer les réformes pour permettre aux fonds de pension d’investir davantage dans les projets d’infrastructure et de capitaliser pleinement sur les opportunités. Étendre leur couverture au secteur informel est une priorité : seuls 15 % des Africains bénéficient d’un régime de retraite, bien loin de la moyenne mondiale de 54 %. Mais atteindre les employés du secteur informel, qui représentent 80 % de la main-d’œuvre du continent, est une tâche ambitieuse.
Pour Oguche Agudah, PDG de Pension Fund Operations Association of Nigeria (PenOp), une des solutions serait de leur ouvrir les portes des fonds de pension sans leur imposer de lourdes procédures administratives : « Au Nigeria, nous proposons par exemple un service dit de micropension avec des frais réduits, spécialement conçu pour le secteur informel. N’importe qui peut s’inscrire ; un téléphone portable suffit grâce à la technologie USSD. Le service est groupé à d’autres produits qui s’utilisent au quotidien. » Des offres similaires existent au Kenya.
Masha Maharaj, Chef du groupe des services de titres pour l’Afrique subsaharienne chez Citi, pense qu’un travail d’éducation et de sensibilisation est aussi nécessaire : « Nous devons apprendre aux jeunes l’importance d’avoir un régime de retraite. » Il est essentiel selon elle de trouver comment les atteindre en misant sur le numérique , en particulier pour ceux qui gagnent moins de 2 à 5 dollars par jour.
Mutualiser les ressources
Investir dans des projets d’infrastructure nécessite de rassembler des fonds importants, soit un défi de taille pour les fonds de retraite individuels. Pour Ngatia Kirungie, mutualiser leurs ressources leur permettrait de voir plus grand : « En se regroupant, ils obtiendraient un capital d’investissement bien plus élevé. »
Oguche Agudah rappelle toutefois que les modèles mutualisés comme ceux du Kenya n’ont qu’une portée nationale pour le moment. Ils ne fonctionneraient pas dans des juridictions comme le Nigeria, où les fonds de pension ne peuvent pas investir à l’étranger.
Le risque de change est un autre frein aux financements groupés transfrontaliers. Face aux différentes monnaies locales, les fonds de pension doivent choisir une devise forte lorsqu’ils combinent leurs ressources. Selon Ngatia Kirungie, le risque de voir la dépréciation d’une monnaie mettre à mal les rendements attendus augmente l’incertitude chez les investisseurs.
La question des infrastructures vertes
Les participants au webinar insistent sur l’importance des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) pour les fonds de pension qui souhaitent financer des projets d’infrastructure. Mais les investissements verts représentent un potentiel encore trop peu exploité. Les projets écologiques ont besoin d’une régulation affinée et d’un peu plus de temps pour prendre leur essor.
Olano Makhubela, Responsable de la Surveillance des fonds de retraite pour la FSCA (Financial Sector Conduct Authority) insiste toutefois sur le caractère déterminant de ces critères ESG pour l’avenir : « Rien ne sert d’avoir un bon régime de retraite si c’est pour vivre dans une société dysfonctionnelle avec des inégalités profondes ».
Pour en savoir plus, regardez le webinar « Renforcer le secteur émergent des fonds de pension en Afrique ».